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Les décors

Le Larzac est un territoire mythique, un territoire mental. Les choses y sont immuables ; tout y est à la longue changé en pierre ou en statue de sel. Et cet espace n’a pas de fin. Vous y entrez dans une position que vous croyez être la position debout, alors même que vous avez atteint sans le savoir la quatrième dimension, que vous avez pénétré sans même savoir qu’elle existait vraiment l’antimatière, la masse manquante de l’univers, par laquelle transitent, comme en lévitation, entre autres êtres extravagants, les extraterrestres et quelques hérauts de science-fiction, anti-héros d’un roman-feuilleton, d’un polar-photo, d’un road-movie immobile et à la gomme : les Impitoyables.

Quand ils alunissent sur le Larzac, leur histoire, elle, touche à sa fin ; leur histoire en tant que succession de poursuites infernales, de déflagrations de revolvers, de chambres dans des hôtels bon marché, de sueurs froides, de solitudes paranoïques…

Le Kid de Sugar Lake City, parvenu à la tête de l’Organisation après maints coups pendables, a convié les Impitoyables pour le désert sous des cieux lourds de menaces, d’orages magnétiques – des cieux lourds et d’un bleu tourmenté comme une orange mécanique.

Les Impitoyables n’avaient pas cru opportun de décliner l’invitation, inconsciemment convaincus d’avoir rendez-vous sous cette latitude improbable avec leur destin et le déclin.

Et inconsciemment, Les impitoyables avaient raison ; le “Kid” entendait bien se débarrasser de ses anciens hommes de main (jeu de vilains), les passer incessamment par les armes, armes dont il était totalement exclu qu’ils pussent cette fois-ci avoir le choix. Ainsi de la justice des sans foi ni loi, expéditive, impitoyable…

L’arme, ce serait l’attente ; ce serait le désert. Le silence. La gamberge. Et puis la mauvaise conscience, la conscience tout court. Le Larzac immuable, tout en pierres sèches et en statues de sel. Une fin en soi : l’exact contraire d’un happy end…

La journée touchait à sa fin. Tout n’était que désert qui poudroie, horizons qui flambloient, et Monsieur O. mesurait enfin le caractère exceptionnel de la journée qui venait de s’écouler. Jusque-là, il n’avait pas attaché d’importance au décor, au paysage qui l’entourait, et puis là, subitement, tout lui était devenu familier, les pierres millénaires sur lesquelles s’écorchaient les ombres des nuages, les statues de sel en lesquelles ceux qui étaient passés ici avant lui et les Impitoyables avaient été changés – maudits et pétrifiés à jamais. “C’est pas si mal ici, ça ferait un beau cimetière. Je crois bien que je vais reprendre encore un peu de désert.” Voilà, ce serait la dernière chose qu’il dirait, son épitaphe exemplaire du comique de répétition.

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